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À la fin du Second Empire, la Cour des comptes est une institution solide. La France est fière de l’organisation et du contrôle de ses finances publiques comme elle l’est de son développement économique. La critique précise et pertinente des irrégularités du préfet Haussmann dans les grands travaux de Paris dans ses rapports annuels vaut à la Cour une notoriété certaine dans le monde politique. La reprise en 1868 de ses observations par Jules Ferry dans un opuscule intitulé « les comptes fantastiques d’Haussmann » assure cette notoriété à une époque où les contes fantastiques d’Hoffman, traduits de l’allemand, étaient presque aussi connus que les livres de Walter Scott. Pourtant, la période qui suit la chute du Second Empire est la plus mouvementée de l’histoire de la Cour des comptes. Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, la guerre touche évidemment l’institution, surtout pendant le siège de la capitale de la mi-septembre 1870 à fin janvier 1871 ; mais c’est la Commune de Paris (mars à mai 1871) qui bouleverse la juridiction : le 23 mai 1871, alors que les troupes versaillaises progressent dans la capitale, les insurgés mettent le feu au Palais d’Orsay en même temps qu’aux Tuileries et à d’autres monuments. Tout est détruit, y compris le bâtiment annexe, de l’autre côté de la rue de Lille, qui abrite les archives. Fort mal réinstallée à titre provisoire au Palais-Royal, la Cour des comptes renaît en quelques années. Elle le doit à son Premier président, Ernest de Royer, en fonction de 1863 à fin 1877, et à l’efficacité des services du ministère des Finances, pourtant incendié lui aussi. La juridiction échappe aux sévères épurations de la IIIe République naissante qui ont eu lieu en 1879 (Conseil d’État) et 1883 (magistrature judiciaire). Après des années mouvementées, tout ramène le fonctionnement de la Cour des comptes au statu quo ante. Il manque en effet dans les années 1880, aux gouvernements et peut-être aussi aux chefs de la Cour, une vision prospective sur la gestion publique et sur les méthodes de contrôle. Les réformes, pourtant nécessaires, attendront un demi-siècle. Quant au relogement de la Cour des comptes, il n’aboutira qu’en 1912 avec l’inauguration du Palais Cambon. « Brûler et renaître » symbolise l’histoire de la Cour des comptes des années 1865 – 1885. À ce diptyque, il a donc manqué un troisième volet : rénover les finances publiques. Le nouveau livre du Comité d’histoire de la Cour des comptes s’attache à une période qui n’est guère présente dans les ouvrages de finances publiques. L’auteur s’appuie sur les archives de l’institution postérieures à l’incendie ainsi que sur les archives privées de la famille de Royer, n’hésitant pas à mêler la grande et la petite histoire. (Présentation de l’éditeur). ■
Les finances publiques autour du Pacifique, Manuel Tirard (dir.), Éditions mare&martin, 2018, 313 p.
Pourquoi un livre sur les finances publiques autour du Pacifique ? La réponse est loin d’être évidente mais les études rassemblées dans cet ouvrage sous la direction de Manuel Tirard, qui présente une introduction et une conclusion substantielles, sont convaincantes. Les bords du Pacifique sont à l’évidence une zone d’un grand poids économique et une terre d’avenir. Les 6 pays sélectionnés (Australie, Chine, États-Unis d’Amérique, Japon, Mexique et Russie) rassemblent plus de 30 % des terres émergées, près de 30 % de la population mondiale et 50 % du produit intérieur brut de la planète. Ils appartiennent à des groupes très différents (occident/ orient, nord/sud, fédéraux/ unitaires, influencés ou non par l’Europe). L’étude de leur système de finances publiques s’avère pleine d’intérêt. Chaque pays fait l’objet d’une présentation générale, institutionnelle et économique, puis d’une synthèse de son système financier, puis de l’analyse des sources normatives, des principes budgétaires, de la procédure budgétaire, des finances locales et des finances sociales. Les spécialistes contributeurs apportent ainsi des informations actualisées et contextualisées sur le fédéralisme en Australie, au Mexique, aux États-Unis et en Russie, sur le pouvoir réel de l’Assemblée populaire nationale de Chine, sur la fragmentation des pouvoirs budgétaires aux États-Unis, sur les causes structurelles de l’endettement japonais… Outre le thème du fédéralisme, de nombreux thèmes transversaux peuvent être approfondis : les pouvoirs (limités dans la pratique) des parlements, l’autonomie financière des collectivités infra-étatiques (toujours proclamée et toujours corrigée par d’indispensables mécanismes de péréquation), la présente ou l’absence d’institution de contrôle indépendant. Manuel Tirard, à la recherche d’éléments de synthèse utiles pour la réflexion sur les finances publiques européennes et françaises, met en relation le degré d’attachement aux principes budgétaires (fort dans les modèles « continentaux » et faible dans les systèmes « anglo-saxons ») et l’effectivité des contrôles parlementaires de l’exécution budgétaire (forte dans les modèles anglo-saxons et à développer en France et en Europe). Un très beau travail de finances publiques comparées, hors des sentiers battus. ■
Le New Public Management (NPM), venu du néo-libéralisme et du managérialisme, a conquis le monde à partir de la fin des années 80. On peut le définir approximativement par la volonté de transposer à la gestion publique les outils de la gestion des entreprises et par la panoplie d’outils mis à la disposition des réformateurs : direction par objectifs, reporting, indicateurs quantitatifs, intéressement aux résultats, distinction conception/mise en œuvre, lean management… Même si aujourd’hui chacun s’accorde pour démontrer que le « modèle » était plus empirique que théorique et qu’il a connu de multiples variantes, il a joué dans de nombreux pays, et notamment en France, un véritable rôle idéologique en étant la référence obligée d’une pensée unique en matière de modernisation administrative, notamment à la glorieuse époque de la révision générale des politiques publiques. S’il reste encore des fanatiques-et il en reste encore, les récentes circulaires du Premier ministre en portent témoignage-,ils se guériront de cette maladie en lisant le stimulant recueil d’études publié par l’IGPDE à la suite des Rencontres internationales de la gestion publiques de 2014. Le phénomène NPM est étudié sous différents angles : sa diffusion par les organisations internationales, notamment l’OCDE ; la diversité de l’appropriation de ses outils selon les pays, les organisations et les secteurs (Premiers résultats d’un enquête européenne auprès de 6 000 cadres dans 17 pays commentés par Philippe Bezes et Gilles Jeannot) ; le rôle des cabinets de conseil dans la RGPP sous l’impulsion de la DGME. La critique du NPM est argumentée, et s’appuie sur une littérature abondante, surtout en langue anglaise. Elle est illustrée par deux études théoriques sur la « bureaucratisation néo-libérale » (Béatrice Hibou) et sur le gouvernement par les nombres (Roland Gori). Il est plus difficile (et peut-être d’un intérêt très limité) de savoir quel « paradigme » lui succédera. Dans leur introduction, Nicolas Matysajik et Marcel Guenoun identifient trois tendances chez les auteurs américains : le Digital Era Governance (la réforme de l’État tirée par les ruptures technologiques), la New Public Governance (la participation plus forte d’acteurs et de réseaux), la Whole of Gouvernement Approach (coordination et intégration culturelle). Les études évoquent plusieurs pistes d’alternatives encore très provisoires : la co-production des services publics par les agents avec les usagers, les budgets participatifs, l’innovation publique et les démarches design. Le nouveau Nouveau Management Public n’est pas encore né et l’ancien management public peut encore être utile. ■