Un récent colloque (18 octobre) a réuni Conseil d’Etat et Cour des comptes sur le thème, toujours lancinant, de la responsabilité des gestionnaires publics.
Une réforme nécessaire
Chacun s’accorde sur le constat d’un système qualifié par la Procureure générale près la Cour des comptes comme étant “à bout de souffle” : des comptables soumis à un contrôle de “régularité” largement formel mais chronophage et qui ne cible que rarement les vrais responsables ; maintien d’un ministre-juge par le jeu de la remise gracieuse ; échec de la CDBF ; régime de responsabilité daté qui ne correspond plus aux enjeux et nécessités de la gestion publique.
Avec Isabelle Falque-Pierottin, qui a suivi de près le “Grand débat”, personne ne conteste la crise de confiance inédite vis-à-vis des gestionnaires publics et la nécessité de recrédibiliser leur action. Et le Premier président Migaud a raison de considérer que le système de responsabilité actuel oscille, sans choisir, entre une dimension réparatrice et une logique de sanction.
Cette belle unanimité ne cache-t-elle toutefois pas, au pire une absence de volonté de faire évoluer ce système de responsabilité ; au mieux, une impossibilité d’y parvenir ?
Une réforme difficile
En effet, si Raoul Briet est fondé à considérer que la mise en jeu éventuelle de la responsabilité est l’aval d’un processus qui nécessite de s’interroger préalablement sur notre éco-système administratif, si Thomas Cazenave relève avec pertinence une porosité des responsabilités, une production normative paralysante, une situation générale de sur-contrôle, si Jean-Denis Combrexelle souligne avec justesse qu’il est souvent difficile d’imputer telle faute à tel décideur public, ces constats ne sont-ils pas le prétexte à une forme d’immobilisme ? A écouter attentivement Rémi Bouchez, Président adjoint de la section des finances du Conseil d’Etat et membre de la CDBF, on en viendrait presque à penser que le système de responsabilité actuel, pour être perfectible, est globalement satisfaisant et que son amélioration serait trop complexe (prévisibilité de la sanction, imputabilité de l’infraction, articulation avec le juge pénal) pour pouvoir être valablement entreprise.
Alors, un colloque pour rien ? Cette conclusion serait injustement pessimiste.
Une réforme possible
Oui, il faut une action publique plus efficace et la direction interministérielle de la transformation publique s’y emploie : revenir sur la dilution des responsabilités, renforcer la déconcentration, mettre en œuvre (enfin) l’orientation “résultats” prévue par la LOLF, laisser plus de souplesse et de liberté d’organisation.
Mais cela ne peut constituer le préalable de la réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics dont on connaît, depuis le projet porté par Philippe Séguin en 2009, les principes fondamentaux : fusion de la Cour des comptes et de la CDBF et attribution à la Cour nouvellement constituée de la compétence juridictionnelle complète sur l’ensemble des acteurs ; fixation claire des irrégularités et des infractions susceptibles d’être sanctionnées en y incluant, à l’image des entreprises privées, les fautes de gestion ; et, comme l’indiquait le Vice-Président du Conseil d’Etat en conclusion, donner une existence effective à la responsabilité managériale en mettant en pratique la liberté voulue par la LOLF, en fixant des indicateurs d’efficience plus pertinents, en développant une vraie logique d’évaluation des politiques publiques et en valorisant mieux les prises de risque.
Ne rien faire sur ce sujet en attendant des jours meilleurs serait la pire des solutions tant les attentes sociales sont grandes ; et prétexter une infranchissable complexité de notre système ne ferait que renforcer ce terrible sentiment de défiance que nos concitoyens ressentent vis-à-vis de l’action publique.
Xavier Vandendriessche – Professeur à Sciences-Po Lille