Nous avons lu pour vous
Le débat fiscal : une passion française, Dominique Villemot, L’Harmattan, 2019, 195 p.
Malgré le titre de son ouvrage, Dominique Villemot, avocat fiscaliste, nous propose une analyse sage, claire, raisonnée et raisonnable du système fiscal français actuel. Posture nécessaire pour comprendre « un système fiscal très complexe dont les effets sont souvent mal compris par les citoyens et sont mal acceptés par les contribuables ». Il présente les principales caractéristiques des prélèvements obligatoires en France de manière condensée, sans s’encombrer de détails avec pour chaque sujet quelques chiffres choisis ,quelques points de comparaison européens, les données du débat en tenant compte à la fois ,ce qui est rare, des objectifs de justice sociale et des objectifs d’efficacité économique. Il souligne par exemple que le système fiscal-social est très redistributif mais au prix d’une surcharge dangereuse pesant sur les facteurs de production et il justifie par des considérations économiques le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus financiers et la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière, etc. L’ensemble de la réflexion est actualisée jusqu’à la veille du projet de loi de finances pour 2020 et prend donc en compte la politique fiscale d’Emmanuel Macron en regard de celle de ses prédécesseurs, les unes et les autres exposées avec une même objectivité. Dominique Villemot affirme à juste titre que la politique fiscale est encore un marqueur politique même si, parfois, les gouvernants jouent à front renversé et changent de politiques en cours de mandat. Nicolas Sarkozy a réduit les impôts sur les revenus et sur le patrimoine avant d’augmenter les prélèvements obligatoires après la crise de 2008-2009 ; François Hollande a organisé son « choc fiscal » sur les hauts revenus et les entreprises avant de faire une politique de l’offre; Emmanuel Macron a commis une erreur de calendrier en allégeant l’impôt « des riches » (transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière et prélèvement forfaitaire unique sur les revenus financiers) et en augmentant la CSG avant de réduire la charge des plus modestes (exonérations de cotisations sociales et suppression de la taxe d’habitation). Selon l’auteur, la politique d’austérité qui s’est terminée en 2017 était essentiellement due au comportement de cigale des années 2000 où, en période de croissance « les gouvernements (Jospin et Raffarin) ont redistribué aux Français une partie des bonnes rentrées fiscales sous forme de réduction d’impôts plutôt que de les utiliser pour réduire la dette publique ». L’étude de chaque catégorie d’impôts apprendra peu aux spécialistes mais certains sujets sont brillamment et objectivement traités : le transfert partiel du financement de la sécurité sociale des cotisations vers l’impôt, la nécessité d’augmenter la fiscalité environnementale malgré l’épisode des gilets jaunes, la TVA sociale, l’impact de la suppression de l’ISF (« L’ISF ne frappait pas les très riches mais ceux qui essayaient de le devenir ». En conclusion, une réflexion politique s’imposait pour le président du réservoir d’idées macronien Démocratie Vivante qui pense que « le quinquennat d’Emmanuel Macron, comme celui de Nicolas Sarkozy et de François Hollande va probablement se jouer sur la fiscalité ». Il souhaite que la baisse des impôts soit durable et conciliable avec la réduction du déficit structurel ; ce qui implique une baisse des dépenses publiques. Au-delà de l’alternance de périodes d’augmentation des impôts (1995-1999 et 2011-2017) et de baisses d’impôts (2000-2010, 2018- 2022), « la France a besoin de stabilité fiscale et de cohérence politique ». ■
Les chiffres en finances publiques, Alain Pariente (dir.), Éditions mare&martin, 2019, 310 p.
L’ouvrage collectif dirigé par Alain Pariente, établi à partir des travaux de l’Université d’été 2018 de la SFFP, invite les professionnels des finances publiques à réfléchir à leur rapport aux chiffres (et aux nombres). Ceux-ci constituent en effet un appui essentiel de cette discipline, même lorsqu’on la réduit (à tort) à sa dimension juridique. Alain Pariente expose ainsi les chiffres « magiques » qui fixent les limites de l’action publique (l’unité budgétaire, les 3 % de déficit, le ratio de ressources propres de collectivités locales), les chiffres « parfaits » qui fixent des objectifs (les critères de Maastricht, les objectifs des projets annuels de performance, les trajectoires des agrégats des lois de programmation des finances publiques). Les contributions se penchent d’abord sur la production des chiffres : le PIB adapté par l’intégration de nouveaux indicateurs de bien-être, les données et chiffres du système des Nations Unies, de l’État togolais ou du Japon, la normalisation comptable en France, les données relatives à la sécurité sociale, les données financières locales. La deuxième partie étudie plusieurs exemples d’utilisation des chiffres : pour le contrôle interne budgétaire ; pour la détection automatique des fraudeurs, dont Caroline Lequesne-Roth décrit un développement très important dans la sphère sociale et fiscale et invite à réfléchir aux conséquences de cette « algocratie » qui transforme insidieusement le droit fiscal ; pour le contrôle parlementaire (les jaunes budgétaires, sources d’information financière importante et insuffisante) ; pour le contrôle des comptes où les chiffres juridictionnels importent moins que les chiffres extra-juridictionnels. Une troisième parie invite les lecteurs à « penser les chiffres » au regard de leurs apports pour la philosophie, la sociologie, l’histoire ainsi que pour « chiffrer et déchiffre la complexité budgétaire » (Céline Husson-Rochcongar). ■
Le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) apporte une synthèse des concepts, des chiffres clés et des perspectives de la fiscalité environnementale qui faisait défaut depuis un précédent rapport du CPO de 2005. La fiscalité environnementale, définie comme l’ensemble des mécanismes fiscaux ayant un impact sur l’environnement, regroupe 46 dispositifs, assurant 56 Md€ de recettes qui représentent 5 % des prélèvements obligatoires et 2,4 % du PIB (Royaume-Uni 2,4 % ; Allemagne : 1,8 %). S’y ajoutent 38 dépenses fiscales dont la moitié sont défavorables à l’environnement pour 13,2 Md€ et ,dans une large conception, le versement transport (8,5 Md€) et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères(7,69 Md€).Cette fiscalité est concentrée à 83 % sur l’énergie, dont la taxe intérieure de consommation de produits énergétiques (32 Md€ en 2018) et la taxe sur l’électricité (10 Md€), qui sont des taxes de rendement. Le CPO étudie particulièrement la fiscalité sur les énergies fossiles et la fiscalité carbone. On sait qu’une composante carbone a été ajoutée à la taxation des énergies fossiles en 2014 après deux échecs devant le Conseil constitutionnel en 2000 et 2009, que l’éco-taxe poids lourds n’a pu être mise en œuvre à la suite de la révolte des bonnets rouges en 2014 et que le projet d’accélération de la trajectoire de taxation du carbone et du rattrapage diesel/essence en 2018 a été le point de départ de la contestation des gilets jaunes. Pourtant, le CPO démontre que, pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre, la France devra rétablir une fiscalité fortement incitative sur la consommation d’énergies fossiles et sur les émissions de carbone. Compte tenu de la difficile acceptation sociale de ces prélèvements, le rapport expose plusieurs conditions à cette relance : clarification des objectifs et visibilité à long terme ; transparence sur l’utilisation des recettes ; compensations en fonction du revenu, du lieu d’habitation et de la mobilité des ménages ; réduction ou suppression des régimes dérogatoires et des dépenses fiscales(remboursement de la TICPE en faveur du transport routier de marchandise, gazole non routier, exonération du transport aérien et maritime) ; aménagement de dispositifs complémentaires (taxation des poids lourds au kilomètre, alignement de la fiscalité du diésel ; péage urbain ; tarifs de la taxe sur les cartes grises ; barème des frais kilométrique) ; distinction ou même dissociation de la fiscalité énergétique et de la fiscalité carbone ; création d’un cadre européen de fiscalité carbone articulé avec le marché des quotas et comprenant une protection contre le carbone importé. ■
V. aussi dans ce numéro l’article d’André Barilari sur le livre « Capital et idéologie », Le Seuil, 2019,1 232 p.