Nous avons lu pour vous
Après ce livre, plus personne ne doutera de l’existence d’un droit gouvernemental, c’est-à-dire d’un ensemble de normes qui s’imposent à l’organisation et au fonctionnement du travail au plus haut niveau de l’exécutif. Il est vrai que jusqu’à maintenant, la doctrine s’était davantage intéressée au droit parlementaire. Paradoxalement, alors que la réalité du pouvoir central a glissé aux mains de l’exécutif, ses rouages et son fonctionnement relèvent encore largement de la « boîte noire », ce qui n’est satisfaisant ni pour les juristes, ni pour les praticiens, ni pour les citoyens. Le financier public est tout aussi intéressé par le statut du ministre chargé de l’économie et des finances, par l’absence d’autonomie financière du gouvernement, par l’encadrement européen des fonctions économiques et financières, par les limitations apportées par la LOLF au pouvoir des ministres dépensiers, par les difficultés d’apprécier le train de vie des membres du Gouvernement malgré six documents budgétaires annuels, par les règles de rémunérations et d’indemnités des ministres, par les fonctions de contrôle exercées par la Cour de discipline budgétaire et financière(mais les ministres ne sont pas justiciables devant elle), par la Cour des comptes (par ses observations sur la gestion des ministères et, une fois, en raison de la gestion de fait d’un ministre) et par le contrôleur budgétaire et comptable ministériel… L’auteur a fait un travail considérable de recensement et de mise en ordre des règles applicables, plus ou moins formelles, de la Constitution à la coutume en passant par de multiples décrets et circulaires, et il en donne une présentation qui étonne par sa clarté pour un sujet aussi politique et parfois évanescent. Il expose successivement l’autonomie du droit gouvernemental, du point de vue organique, fonctionnel et procédural puis, la subordination de ce droit du point de vue normatif, jurisprudentiel et institutionnel. Au fil des pages sont exposés le rôle central du Secrétariat général du Gouvernement (créé en 1935, en même temps que le titre de « ministre en charge de la présidence du conseil » et son installation à L’hôtel Matignon), l’efficacité des réunions interministérielles, les fonctions des cabinets ministériels et de leurs membres, la fonction des secrétaires généraux restaurés depuis 2004, les circulaires de 2019 relatives au travail gouvernemental, les multiples règles de transparence et de déontologie qui s’imposent désormais (trois lois de 2013, 2016 et 2017) aux membres du gouvernement, les règles déontologiques, existantes et encore insuffisantes, les arrêts de la Cour de justice de la République (6 depuis 1993), les différents cas d’intervention du juge pénal, la responsabilité (collective et individuelle) des membres du gouvernement, devant le Président. Autant de questions d’actualité, traitées savamment et avec la rigueur universitaire. ■
Ce petit livre est à la fois un essai savant d’un juriste-fiscaliste, un pamphlet anti-fiscal d’un penseur libéral et un livret de vulgarisation sur la dure condition de contribuable. Selon l’humeur fiscale du lecteur, ce mélange des genres paraîtra charmant ou agaçant. L’auteur connaît bien son sujet et n’oublie jamais de citer les articles du code, les sources législatives ou la référence des décisions du Conseil constitutionnel. Son anti-manuel est un vrai manuel lorsqu’il raconte la révolte des bonnets rouges, des pigeons et autres animaux en 2013-2014, qu’il étudie les limites du principe de non-rétroactivité, qu’il rappelle l’histoire mouvementée de l’impôt sur la fortune ou de la taxe de 75 % sur les hauts revenus. Il est un peu moins convaincant lorsqu’il dénonce « l’impôt sur l’impôt » ou « l’imposition de revenus et produits virtuels » en oubliant d’expliquer l’origine et la raison de ces dispositifs ou lorsqu’il critique les techniques de recouvrement « indolore » de la TVA ou du prélèvement à la source qui ne sont pas ignorés des contribuables et qui ont objectivement des effets positifs autres que de dissimuler le poids des prélèvements obligatoires. On le suivra davantage dans la dénonciation de la focalisation du débat fiscal sur l’IR payé par moins de la moitié des contribuables et sur l’impôt sur la fortune qui ne concerne que 130 000 d’entre eux, sur les augmentations d’impôt rampantes faute d’indexation, sur la complexification du système fiscal,sur le caractère superficiel de certaines mesures d’amélioration des relations avec les contribuables. En revanche, il prête le flanc à la controverse lorsqu’il évoque l manipulation des contribuables, rappelle la courbe de Laffer, dénonce l’hégémonie des énarques, préconise, outre une micro-taxe sur les transactions, le remplacement de l’IR, de la CSG et de l’IS par une contribution fiscale généralisé sur le revenu brut sans niches fiscales. I reste que l’exposé des « techniques de plumaison des contribuables sans trop les faire crier » permet un voyage rafraîchissant dans le monde austère de la fiscalité. ■
Le nouvel ouvrage du Comité d’histoire de la Cour des comptes croise sur une longue période l’histoire de la juridiction financière et celle d’une politique publique particulière : la recherche scientifique. « Le boson de Higgs a-t-il connu la LOLF ? », cette interrogation d’un des contributeurs de l’ouvrage illustre le fait le contrôle financier de la recherche ne va pas de soi. La Cour s’intéresse à la recherche, principalement par le prisme de ses contrôles. Les interventions et les méthodes de la Cour sont de plus en plus diversifiées, globales et détachées du contrôle des comptes. Ainsi, l’ouvrage expose successivement le contrôle des dépenses de la Mission archéologique à Suse en Mésopotamie, les incidences de la réforme « Labeyrie » en 1935 qui porte à la fois sur la comptabilité administrative, le contrôle financier et l’organisation de la Cour, le contrôle de la gestion financière des organismes de recherche, les investigations de la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques, les grandes enquêtes sur le CNRS, sur le financement public de la recherche ou sur l’efficacité du crédit d’impôt recherche. De son côté, la recherche évolue considérablement au cours du siècle. On suit la création en 1901 de la Caisse des recherches scientifiques ; en 1922, de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions (ONRSI) qui organise l’étonnante Station d’essais de Bellevue et le Salon des arts ménagers à la gestion peu orthodoxe ; en 1935, de la Caisse nationale de la recherche scientifique (« la » CNRS) ; en 1939, « du » CNRS. Puis, l’augmentation des budgets entre 1956 et 1969, la grande période la loi d’orientation et de programmation(1982-1994) et le « paysage redessiné » entre 1995 et 2015 dans un contexte mondial et européen. Cette histoire est donc principalement celle des nombreuses institutions de recherche : CNRS, Cnexo, CNES, IGN, ONF, CERN. Elle est illustrée par de nombreux témoignages très vivants qui racontent, par exemple, les déboires de l’Aérotrain, les réflexions pour l’appellation de la future fuse Ariane, la vie des cabinets des ministres de la Recherche, le scandale de l’ARC, la longue lutte contre le Sida. C’est aussi l’histoire des hommes, avec de nombreux portraits de membres de la Cour tentés par la recherche (Bernard Gournay, auteur, en 1966, d’un des premiers ouvrages de science administrative ; Guy Thuillier, directeur de recherches à l’École pratique des hautes études, l’inventeur des comités d’histoire de l’administration) ou prenant d’éminentes responsabilités politiques et administratives dans ce domaine tels Jean Charbonnel, Jean-Pierre Soisson, Roland Morin ou, plus exceptionnellement de scientifiques passés par les juridictions financières comme Alfred de Foville économiste et créateur au ministère des financesd’un bureau de statistique et de législation comparée ou Michel Prat, chercheur en physique nucléaire avant son entrée à la Cour. ■
Cette belle thèse, dirigée par le professeur Ludovic Ayrault et soutenue en 2017, intéressera les fiscalistes, académiques et praticiens, par son thème très concret : l’établissement de la preuve devant les juridictions qui statuent en matière fiscale.Mais le champ de l’étude est original : Son domaine est plus large que celui de la « charge » de la preuve puisqu’il comprend aussi la recherche de la preuve, l’office du juge en ce domaine, le recours aux experts… En outre, la principale originalité de ce travail est qu’il offre une vue comparative des procédures devant les divers juges qui interviennent en matière fiscale, les juge civil, administratif et pénal sans omettre quelques regards sur la jurisprudence du juge constitutionnel ou des juridictions européennes. Ce large angle de vue aboutit à des conclusions qui peuvent surprendre mais qui sont très solidement argumentées. Ainsi, l’auteur démontre qu’il n’est pas pertinent de parler d’un régime autonome de la preuve devant le juge fiscal car chaque juridiction qui statue en matière fiscale apporte au régime de la preuve la marque des caractéristiques propres de la procédure qui lui est spécifique.Chaque juge a son « identité probatoire » : la liberté du juge administratif, l’égalité des parties devant le juge civil, la présomption d’innocence en matière répressive, l’autonomie d’appréciation pour chacun. Il s’ensuit que le rôle des parties, l’office du juge et la répartition de la charge de la preuve sont différents. Le régime de la preuve dépend donc moins du caractère fiscal du litige que du droit et des usages de chaque ordre de juridiction. Comme l’indique Ludovic Ayrault dans sa préface, les partisans de l’autonomie du droit fiscal seront déçus ! Cependant, des principes communs viennent atténuer cette diversité des régimes : l’inadmissibilité de la preuve déloyale et de la preuve illégale (avec de subtils développements sur les preuves recueillies illégalement par l’autorité publique ou qui lui sont transmises : en résumé, les premières sont inadmissibles ; les secondes sont possibles au nom des droits de la défense), règles de présomption, règles de l’équilibre des parties, principes d’équité, principes fondamentaux (contradictoire, égalité des armes, prévisibilité de la norme, prise en compte de l’éloignement temporel) qui prennent de plus en plus d’importance. ■