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BIBLIOGRAPHIE – REVUE-GFP N°1 – 2024

Nous avons lu pour vous

L’épouvantail néolibéral, un mal très français – Guillaume Bazot – PUF – 258 pages

Guillaume Bazot est maître de conférences en économie à l’Université Paris 8, autant dire dans un environnement qui ne porte pas le néolibéralisme au pinacle des valeurs politiques. Ces deux éléments, un travail universitaire et un contexte délicat, suffisent à présenter l’intérêt du projet. Son point de départ réside en un paradoxe : alors que la classe moyenne française vit globalement mieux que la bourgeoisie du siècle dernier (confort matériel, éducation, accès aux soins etc.) d’où vient ce désir latent d’une partie de la société de renverser la table ? Dit autrement, qu’est-ce qui justifie, chez certains, d’écarter deux siècles de libéralisme économique au sein des sociétés occidentales en général et chez d’autres de pointer le néolibéralisme comme cause commune de beaucoup, si ce n’est de tous les problèmes : cet épouvantail néolibéral ?

Dans l’ouvrage de G. Bazot ce questionnement est décortiqué à l’aune d’une analyse économique en plusieurs étapes. Il com mence par proposer un point méthodologique tout à fait bienvenu, qui dénonce les dangers d’une utilisation non scientifique de données chiffrées, sans disqualifier pour autant les sciences humaines et sociales. À partir de données macro-économiques, et à aucun moment il ne prétend dépasser l’usage de ce type de source, l’auteur pro pose une lecture de la société française qui le conduit à remettre en cause une critique trop rapide du néolibéralisme. Il établit ainsi la progression du niveau de vie de la classe moyenne qu’il compare par groupes d’individus, la baisse de la pauvreté et la différence des revenus en France, tout en prenant soin de situer ces analyses dans un cadre international hétérogène. Pour ce chapitre comme pour les autres, les questions qui restent en suspens sont habilement discutées dans le suivant. Ce sont donc les inégalités, puis la répartition entre capital et travail, la finance, les inégalités de développement économique mondiaux qui sont successivement abordées de façon tout aussi convaincante. Car l’auteur ne tente jamais de camoufler les points morts de la lutte contre les inégalités, ni les difficultés liées à l’accumulation de ca pital par certains. L’ouvrage est mesuré et argumenté. Le cheminement économique propose d’objectiver l’analyse et dénonce les errements de propositions non étayées qui relèvent de l’idéologie, ou pire, mal étayées par des discours pseudo-scientifiques. Sur ce point encore l’ouvrage est convaincant : à l’époque de la fake science reposant sur des études peu rigoureuses, il diffuse un discours solide et se soumet aux impératifs de réfutabilité des propositions scientifiques.

À ceux qui pourraient douter de la neutralité axiologique du propos, on ne peut que répondre de lire l’ouvrage jusqu’au bout, tant les pistes de réflexions proposées par le dernier chapitre « Quel diagnostic pour quelles solutions » surprendra ceux qui auraient pu prendre Guillaume Bazot pour un suppôt de l’école de Chicago pratiquant l’entrisme à Paris VIII. Si l’ouvrage s’adresse plus à des non-économistes qu’à des économistes, il s’adresse autant à des académiques qu’à des non-académiques et c’est là une autre de ses vertus.

Il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation au sens le plus noble du terme : un ouvrage qui ne cède rien à l’approximation ou aux assertions non étayées, un ouvrage qui décrit et explique de manière limpide des situations complexes. Un ou vrage qui éclairera et orientera des soci logues, des juristes, des géographes… bref, qui voudra bien le lire. Un grand merci aux Presses universitaires de France qui entretiennent les conditions d’un dia logue argumenté au sein de la société.■
SK