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Simplification et dérèglementation : quelle est la différence ?

En France, la simplification est à la mode : discours du Président de la République et des Premiers ministres successifs, fronde des agriculteurs et pressions du Medef, projet de loi sur la simplification de la vie des entreprises, premières déclarations de Guillaume Kasbarian, ministre démissionnaire chargé de la transformation et de la fonction publique et explicitement « de la simplification ». C’est désormais un lieu commun de vouloir « débureaucratiser » et de fustiger « les normes qui étouffent ».

Aux États-Unis, après la campagne et l’élection de Donald Trump, très critique à l’égard des fonctionnaires et des réglementations, l’entrepreneur Elon Musk a été désigné comme responsable du « département de l’efficacité gouvernementale ». Selon le communiqué du Président élu, il devra « démanteler la bureaucratie gouvernementale, réduire les réglementations excessives, réduire les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales » ; vaste programme de déréglementation comparable à ceux mis en œuvre sous Ronald Reagan ou Margaret Thatcher.

Réactions convergentes contre les excès de l’inflation des normes, de l’enchevêtrement des structures administratives, de la complexité des procédures, des comportements d’une élite bureaucratique ou expression démagogique de politiciens en quête de thèmes de réforme consensuels, populaires, peu coûteux et faciles à annoncer ?

On peut hésiter en relevant que le projet de loi de simplification de la vie des entreprises, qui vient d’être adopté en première lecture au Sénat, comprend un long chapitre de « détricotage » de réglementations protectrices de l’environnement. Dans une première version du projet, il avait même été envisagé de supprimer la Commission nationale du débat public. De son côté, le ministre chargé des simplifications insiste beaucoup sur les économies à réaliser, félicite Elon Musk et se propose de partager des « bonnes pratiques » avec lui.

Pourtant, une clarification s’impose.

La simplification administrative est une démarche pragmatique qui vise à faciliter la vie des usagers (particuliers, entreprises, collectivités territoriales) et spécialement des plus modestes et des plus démunis d’entre eux qui ont justement le plus besoin des services publics. Elle peut conduire à faire les meilleurs choix d’efficacité sociale en dosant pour chaque politique publique les outils de réglementation, d’incitation et d’allocation. Elle ne peut réussir durablement que si les citoyens et les fonctionnaires sont associés à son élaboration et à sa mise en œuvre, ce qui n’est pas fréquent.

La dérèglementation est une démarche idéologique qui vise à libérer les initiatives des acteurs économiques de l’emprise supposée de l’administration. Elle élimine les règlementations protectrices et les organismes « inutiles ». Elle doit générer d’importantes économies au détriment des fonctionnaires et des services « budgétivores ». Elle est imposée d’en haut avec l’aide de techniques prétendument managériales pour lutter contre les « résistances au changement ».

Les politiques de simplification et de déréglementation procèdent de conceptions différentes du rôle de l’État et du Droit. L’État doit-il garantir ou non une certaine solidarité financée par l’impôt ? Les normes ne sont-elles pas indispensables pour assurer une protection dans des domaines tels que l’environnement, la santé ou la sécurité ? Le respect des règles collectives n’est -il pas l’un des principes fondamentaux de la vie en société ?

Ces deux démarches n’ont donc pas les mêmes finalités, n’emploient pas les mêmes méthodes, ne mobilisent pas les mêmes acteurs, n’aboutissent pas aux mêmes mesures et ne bénéficient pas aux mêmes catégories sociales.

Aux États-Unis, la dérèglementation a pour objet de détruire les services publics. En France-et en Europe-la simplification doit (ou devrait) contribuer à les promouvoir.