Manifestement, le thème des finances publiques suscite des réactions passionnées de la part des citoyens mais les gouvernants semblent frileux pour ouvrir la démocratie participative aux finances publiques.
Fiscalité et dépenses publiques : un sujet du grand débat national
Même si les revendications se sont rapidement élargies, la question de l’augmentation de la composante carbone des taxes sur les énergies fossiles, sans contreparties suffisantes, a été à l’origine de la révolte des gilets jaunes. Le Président de la République a donc retenu le sujet de « la fiscalité et les dépenses publiques » comme l’un des quatre thèmes du grand débat national. Le document-questionnaire mis en ligne pose des questions pertinentes telles que : Comment répondre à la demande des citoyens de mieux connaître les dépenses publiques et à l’exigence de transparence sur l’utilisation des fonds publics ? Quel consensus sur le bon niveau de fiscalité au regard des prestations souhaitées ? Comment établir un système fiscal plus juste et plus efficace ? Quel type de dépenses publiques baisser si le choix est fait de poursuivre les baisses d’impôts ?…
Le concours Lépine de l’impôt prudemment interrompu
Dans la presse un véritable concours Lépine de la fiscalité a vu les ministres, les parlementaires et les experts émettre de multiples propositions de réformes fiscales : plafonnement plus sévère des niches fiscales ; ciblage des droits de succession; impôt sur le revenu minimal pour tous ; reprofilage des taux de taxe sur la valeur ajoutée ; évaluation de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune ; augmentation de l’impôt sur la fortune immobilière ou de la flat tax; relance de la taxe carbone avec une affectation exclusive au financement de la transition écologique ;baisse des taux des premières tranches d el’impôt sur le revenu…. Sans parler des groupes de pression, tels l’Association des maires de France ou le Medef, qui ont profité du grand débat pour recycler leurs revendications.
Le Président de la République et le Premier ministre ont fait preuve d’une grande prudence en excluant d’emblée le rétablissement de l’ISF puis en écartant la plupart des propositions nouvelles. Le Président de la République, dans son débat du 18 mars avec des intellectuels, a même semblé rejeter toute idée d’une réforme de la fiscalité « qui ferait des gagnants et des perdants ».
Les citoyens s’intéressent aux finances publiques
Pendant ce temps, sur la plateforme du grand débat, le thème financier arrive en tête pour le nombre de réponses. L’exigence de justice fiscale a été abordée dans de nombreuses réunions locales, notamment sous l’influence des gilets jaunes. Dans les deux auxquelles j’ai participé, le public majoritaire a été très critique sur les impôts en général, très favorable à la taxation des plus riches et à la lutte contre la fraude fiscale. Les conférences citoyennes régionales ont été beaucoup plus sages. Celle à laquelle j’ai participé (à la suite du tirage au sort) a par exemple proposé : une TVA écologique (calculée sur la performance écologique de l’entreprise) ; une taxe à l’importation pour pénaliser les pays qui ne respectent pas les normes éthiques et environnementales ;un audit indépendant de chacun des 250 impôts et taxes et une restitution de ces travaux aux citoyens ;une simplification du système fiscal et une information régulière et accessible à tous ;l’affectation d’une partie des impôts selon les souhaits du contribuable ;l’extension des budgets participatifs…
Les finances publiques : un champ privilégié de la démocratie délibérative
Ce sont de premiers témoignages partiels en attendant la restitution officielle et l’exploitation des données du grand débat. On peut penser que certaines propositions sont trop générales, irréalistes ou, au contraire, déjà mises en oeuvre.. .On peut relever que les mots de dette, de déficit et d’Europe n’ont guère été entendus. Mais cette participation montre que les Français souhaitent que le système fiscal fasse l’objet d’un débat citoyen, sans pour autant mettre en cause, dans leur majorité, ni la légitimité de l’impôt, ni la nécessité d’une approche technique.
Deux priorités : mieux informer les citoyens, lutter plus efficacement contre la fraude [1]
On aurait donc tort d’interdire ce champ à la démocratie délibérative (comme c’est le cas dans certains des pays qui pratiquent le référendum d’initiative populaire mais l’écartent en matière de finances publiques).Dans la suite du grand débat national, il conviendra de prendre des mesures significatives pour satisfaire d’une manière volontariste les demandes de pédagogie de l’impôt (en organisant un dialogue citoyen informé et continu) et de justice fiscale (en premier lieu par la lutte contre la fraude fiscale des multinationales).
Michel Le Clainche – DR Finances Publiques au Ministère des finances
[1]Voir dans le N°2019-2 de Gestion & Finances Publiques l’entretien avec André Barilari et Xavier Cabannes sur « Les finances publiques citoyennes » et l’appel à contribution également publié sur ce blog.