Dans une allocation de 13 minutes au ton particulièrement grave, à la télévision, le 10 décembre à 20h00, Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures dans l’espoir de mettre un terme à la crise sociale et politique qui agite le pays depuis plus de trois semaines .
4 annonces sociales d’une ampleur sans précédent depuis le début du quinquennat
- Une augmentation de 100€ , dès le début de 2019, du salaire net perçu par tout travailleur rémunéré au SMIC sans coût supplémentaire pour les entreprises. L’augmentation du SMIC était une des revendications majeure des « gilets jaunes », certains évoquant même le montant de 1500€, voire de 1800€. L’augmentation annoncée par le Président serait un peu supérieure à 8%, dont 1,8% seraient d’ores et déjà assurés par les mécanismes automatiques de revalorisation. Une certaine incertitude subsiste pour le reste, il ne s’agirait pas d’un « coup de pouce » – dont certains craignent un effet négatif sur l’emploi peu qualifié. Le gouvernement semble privilégier une accélération du calendrier d’augmentation de la Prime d’activité qui devait être revalorisée par paliers jusqu’à la fin du quinquennat. Reste que le mécanisme de calcul et d’attribution de cette prime est complexe, puisqu’il doit prendre en compte l’ensemble des revenus du ménage, ce qui paraît rendre problématique sa mise en œuvre effective dès le 1° janvier 2019.
- La « défiscalisation » des heures supplémentaires. L’exonération des cotisations sociales des heures supplémentaires était déjà inscrite au PLFSS 2019. Il s’agit de revenir à un dispositif qui a eu un grand succès sous le quinquennat Sarkozy, dans la mesure où il a un effet progressif marqué (les ouvriers et employés recourant beaucoup plus aux heures supplémentaires que les cadres) et où il apporte des gains de pouvoirs d’achat non négligeables (près de 200€ par an pour un salarié payé au SMIC). Certains économistes (OFCE) ont cependant fait valoir que cette mesure aurait eu un effet d’éviction sur l’emploi et qu’elle a été excessivement coûteuse au regard des bénéfices obtenus.
- Un geste très fort sur la CSG des retraités, avec la suppression de l’augmentation de 1,7%(ce qui ramène le taux effectif à 6,6%) mise en œuvre depuis 2017 sur les pensions comprises entre 1200 et 2000€ . Cette mesure pourrait concerner la moitié des retraités. En revanche, il ne serait pas question de revenir sur la sous-revalorisation des pensions en 2019 (0,3% contre 1,6% s’il était tenu compte de l’inflation), qui doit être un facteur décisif du retour à l’équilibre de la Sécurité sociale en 2019 .
- L’ annonce d’une « prime de fin d’année » défiscalisée et désocialisée pour les entreprises qui seraient en mesure de le faire, dès les prochaines semaines. Il s’agit d’une mesure de partage de la valeur ajoutée qui avait déjà été mise en œuvre en 2011, puis supprimée en 2015, et à laquelle le patronat s’est déclaré plutôt ouvert.
Une addition financière encore difficile à évaluer précisément
Selon les propos du Porte-Parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, le 11 décembre au matin, le surcoût de l’ensemble des mesures annoncées depuis le début de la crise serait de l’ordre de 8 à 9Mds € pour les budgets de l’État et de la Sécurité sociale (y compris les 4Mds consécutifs à l’abandon des hausses de taxes sur l’énergie décidées la semaine dernière ainsi que des primes à la conversion de véhicules), la mesure la plus coûteuse étant la défiscalisation des heures supplémentaires, d’autres comme la prime de fin d’année étant impossibles à évaluer à ce stade.
Le gouvernement envisagerait de compenser une partie de ces dépenses par des économies, mais les marges de manœuvre apparaissent très limitées. Une des voies possibles serait l’aménagement du calendrier de bascule du CICE sur les allègements de cotisation sociales, dont la concomitance en 2019 devait apporter un gain de trésorerie tout à fait exceptionnel (40Md€) aux entreprises. Il paraît en tout état de cause difficile d’éviter un dérapage du solde des comptes publics de 2019 de 2,8% prévus par les lois financières de 2019 à 3,3-3,4% du PIB. Et la prévision officielle de croissance du PIB à 1,7% du PIB paraît compromise à la fois par le ralentissement général de la conjoncture mondiale et les conséquences des blocages de ces dernières semaine sur l’activité qui s’annoncent très importantes.
Le gouvernement pourra certes plaider à Bruxelles que le dépassement des 3% en 2019 est « accidentel » du fait de l’ »effet CICE » qui pèse pour 0,9points de PIB, et que le retour dans les clous sera en tout état de cause assuré pour 2020. Mais c’est surtout la crédibilité du Président de la République pour pousser les projets tels que la réforme de la zone Euro ou la taxation des GAFA qui apparaît sérieusement compromise. Or une avancée sur ces question était jugée capitale dans la perspective de la préparation des élections européennes de l’année à venir.
Pour autant , la stratégie économique générale pour une politique de l’offre ne semble pas remise en question
A aucun moment, le Chef de l’État n’a paru envisager de revenir sur la ligne générale mise en en œuvre depuis 2017 : on ne reviendra pas sur la suppression de l’ISF, ni sur les grandes réformes qu’ont été la refonte du code du travail, celles de la formation professionnelle ou de la SNCF. De même, les grands chantiers dont l’aboutissement est prévu pour 2019 restent ouverts : réforme systémique des retraites, de l’assurance chômage et de la fonction publique. Pour autant, le glissement du calendrier des ces réformes à haut risque apparaît inévitable : d’ores et déjà les partenaires sociaux qui devaient rendre leur copie pour la réforme de l’UNEDIC à la fin janvier 2019 ont demandé un délai supplémentaire. Et le Haut-Commissaire à la réforme des retraites avait fait de même pour prolonger la concertation sur ce sujet d’une très grande complexité. On n’est donc pas du tout dans un virage à 180°-comme ce fut le cas de celui de mars 1983 avec le « tournant de la rigueur », comme l’avaient évoqué un moment certains observateurs.
Un débat élargi sur l’évolution de l’État et de la gouvernance publique
Le débat institutionnel sur la transformation de notre système administratif et institutionnel, qui avait été annoncé par le Premier Ministre la semaine dernière, va s’ouvrir. Les maires, retrouvant une place qu’ils semblaient avoir perdu depuis plusieurs mois, devraient en être les pivots, le Président de la République ayant annoncé qu’il viendrait à leur rencontre dans le cadre d’un « tour de France ». Le débat sera élargi à la fiscalité, à la loi électorale-avec une possible prise en compte du vote blanc, et, de façon plus inattendue, à la question de l’immigration.
À l’annonce de ce discours, qui est sans aucun doute le plus important depuis l’élection de mai 2017, les réactions apparaissaient, mardi matin 11 décembre, contrastées : difficiles à déchiffrer sur les ronds-points et les barrages, plutôt mesurées dans l’ensemble dans les oppositions parlementaires républicaines.
Yves Terrasse – Trésorier-Payeur Général honoraire – Administrateur général des finances publiques