Les 3% de déficit sont au cœur du débat sur les finances publiques. Le Gouvernement se félicite d’un retour du déficit « sous la barre des 3 % pendant trois années consécutives conformément aux engagements européens de la France ». Quelques voix s’élèvent contre « cette barrière artificielle imposée par les technocrates de Bruxelles et synonyme d’austérité ». Ce 3 % s’entend d’un rapport entre le déficit des administrations publiques et le produit intérieur brut qui mesure la richesse produite par la Nation en un an : environ 70 milliards d’euros de déficit par rapport à 2 300 milliards de PIB.
Référence au PIB
La référence au PIB a le mérite de la simplicité apparente. Mais on sait depuis longtemps que la valeur scientifique de cette limite de 3 % est fragile. La petite histoire enseigne que ce seuil « magique » a été inventé à la va-vite en 1981à la direction du Trésor à la demande de François Mitterrand pour limiter la dérive des dépenses et qu’il a été proposé aux partenaires européens, dix ans plus tard en pleine négociation du Traité de Maastricht par Jean-Claude Trichet. Les économistes ont calculé a posteriori qu’il correspondait au niveau maximum de déficit pour stabiliser la dette à 60% du PIB compte tenu de la conjoncture de l’époque (une croissance de 3 % et une inflation de 2 %), contexte qui n’est plus du tout celui d’aujourd’hui.
On sait que le « déficit nominal » de 2,8% pour 2019 tient compte de mesures exceptionnelles qui sont justement exceptionnellement élevées (0,9% du PIB résultant de la transformation du CICE en allégement pérenne de cotisations sociales qui entraîne une double charge la première année et décalage de perception de l’impôt sur le revenu dû au prélèvement à la source).Le ministre et le rapporteur général du budget en tirent argument pour soutenir que le « vrai » déficit est de seulement 1,9% du PIB.
Déficit structurel ou déficit stabilisant
Depuis que la France est sortie de la procédure de « déficit excessif », la Commission européenne s’intéresse de préférence au « déficit structurel », c’est-à-dire celui qui correspond à l’utilisation optimale des moyens de production indépendamment de la conjoncture. Mais le mode de calcul de cet indicateur (qui fait intervenir une estimation de la croissance potentielle, puis une approximation de l’élasticité des dépenses et des recettes par rapport à la croissance du PIB…) et le niveau qui doit être atteint en application des règles du Pacte de stabilité et de croissance (l’objectif à moyen terme calculé pays par pays avec un ajustement structurel qui dépend du niveau d’endettement…) sont pour le moins obscurs et un désaccord persiste entre le Gouvernement et la Commission. Ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas encore au niveau des efforts prévus par nos engagements européens.
Enfin, personne n’évoque la notion-clé de « déficit stabilisant » qui est le niveau de déficit à partir duquel la dette publique commencerait à diminuer . Elle atteint actuellement 98,6% du PIB au lieu du critère maastrichien des 60%. Ce déficit stabilisant se calcule en fonction de la croissance et du niveau de la dette et se situe aujourd’hui aux alentours de 1,7%.
3% ou 30%
Mais surtout, ces pourcentages sont trompeurs. En réalité, personne ne raisonne comme les politiques ou les économistes. Lorsque dans n’importe quelle collectivité, commune, association ou entreprise, on veut exprimer un éventuel déficit sous forme de ratio, on compare le déficit d’une année aux dépenses ou aux recettes annuelles de cette collectivité et non à une grandeur extérieure. Si j’ai 1 000 de dépenses et 800 de recettes, mon déficit est de 200. Il est égal à 20 % de mes dépenses, ce qui signifie que celles-ci dépassent d’un cinquième le montant nécessaire à l’équilibre. Il représente aussi 25 % de mes recettes, ce qui veut dire que je dépense un quart de plus que je ne gagne.
Appliquons ce raisonnement à nos administrations publiques. Pour prendre la vraie mesure de notre dérive budgétaire, il ne faut pas comparer les 70 milliards de déficit aux 2 300 milliards de PIB mais, soit aux 1200 milliards de dépenses publiques, soit aux 1000 milliards de prélèvements obligatoires. En pourcentage, le déficit est donc égal à 5 % des dépenses publiques ou 7 % des recettes publiques.
Mais, ce déficit résulte de l’agrégation des déficits de l’Etat, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale. Comme ces deux secteurs sont en excédent, le déficit prévisionnel du seul Etat pour 2019 est d’environ 4% du PIB, soit environ 90 Md€. Rapporté aux 400Md€ de dépenses budgétaires ou aux 300 Md€ de recettes, le taux de déficit est donc de 22% ou de 30% !!!Le déficit annuel du budget de l’Etat, entendu comme la part des dépenses qu’il faudrait économiser pour revenir à l’équilibre ou comme ce qu’il manque en recettes pour couvrir les dépenses, n’est donc pas de 3 % mais de plus 20 % !
Si l’on se rappelle , en outre, que la dette publique devra être assumée par les générations futures, que la charge des intérêts mobilise dès aujourd’hui 42,5Md€, soit un budget supérieur à celui de la défense et qu’une augmentation des taux d’intérêt de 1 point coûterait environ 2Md€ la première année, 5Md€ la deuxième année, 16Md€ dans 10 ans… .On voit qu’il n’y a pas lieu de se contenter de nos 3% apparents.
Michel Le Clainche – DR Finances Publiques au Ministère des finances