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Des trois incendies qui ont ravagé les divers sièges de la chambre des comptes de Paris (en 1450 et 1737) puis de la Cour des comptes, celui du palais d’Orsay, les 23 et 24 mai 1871, fut le plus spectaculaire et le plus politique. Parmi d’autres incendies de bâtiments officiels, la Commune s’attaquait là spécifiquement aux grands corps, la Cour des comptes et le Conseil d’État, considérés comme des agents de corruption dont il fallait purifier la société.
Le Comité d’histoire de la Cour des comptes, présidé par Christian Descheemaeker, président de chambre honoraire, consacre son 16e titre à l’histoire du palais d’Orsay. Un ouvrage passionnant, riche d’une iconographie exceptionnelle et dont la qualité scientifique est garantie par son auteur : Jean-Michel Leniaud, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, ancien directeur de l’École nationale des chartes, est historien de l’art, de l’architecture et du patrimoine.
Cette Chronique d’un drame de pierre est l’histoire parfois rocambolesque de quatre-vingt-dix ans d’atermoiements et parfois d’abandons, de floraison aussi de projets artistiques et architecturaux, dans un contexte d’oppositions plus ou moins feutrées entre politiques, architectes, artistes et leurs soutiens, où la Cour des comptes s’est efforcée de tirer son épingle du jeu afin d’obtenir, la dernière de tous les services publics, d’être enfin convenablement relogée plus de quinze ans après l’incendie.
L’histoire du palais d’Orsay, replacée dans l’histoire de la juridiction financière, c’est d’abord trente ans de construction, de 1810 à 1842, date de l’installation de la Cour des comptes, deux ans après le Conseil d’État. La construction d’un bâtiment magnifique dont l’auteur relève avec malice « des comptes mal maîtrisés pour le palais des comptes » avec un dépassement de 800 % de la prévision initiale… Après l’incendie de 1871, contrairement aux autres bâtiments officiels incendiés, les ruines du palais d’Orsay restent en l’état. Un « martyre de trente ans » qui défigure la rive gauche de Paris, inspire les peintres et attire les botanistes, et qui sera quasi fatal aux 270 m² de peintures de Chassériau qui décoraient le grand escalier : elles auront subi les intempéries puis les tentatives timides et ratées de sauvegarde de la direction des beaux-arts, bénéficié enfin d’une campagne photographique en 1897 et de l’action d’un comité de défense, jusqu’à ce que les fragments finalement confiés au musée du Louvre soient inondés en 1910 lors de la crue de la Seine et ne puissent être restaurés qu’à partir de 1925, après la faillite du premier restaurateur.
Pendant cette période , les projets pour reloger la Cour des comptes, à l’étroit dans l’aile Montpensier du Palais Royal, se succèdent, portés par divers architectes, soutenus ou combattus par les politiques : reconstruction d’Orsay, pavillon de Marsan… Ce sera finalement le palais Cambon pour la Cour et la vente d’Orsay à la Compagnie d’Orléans, pour y construire une gare.
Cette chronique qui nous plonge dans l’histoire de la construction -et de la destruction d’un bâtiment exceptionnel et réanime tous les acteurs, célèbres ou moins connus, du « drame de pierre», nous permet aussi de comprendre comment s’effectue l’adéquation d’un projet architectural à l’activité d’une institution, à ses besoins, stockage d’archives ou lieux de réunion, aux habitudes de travail de ses membres. Une question très moderne servie par les magnifiques illustrations de l’ouvrage, et soutenue par un commentaire vivant et remarquablement informé. ■