reformes-administratives-financieres-france-1972-2022 - Michel Le Clainche - Bruylant

BIBLIOGRAPHIE – REVUE-GFP N°6 – 2023

Nous avons lu pour vous

Les réformes administratives et financières en France (1972-2022) – Michel Le Clainche – Bruylant, coll. « Finances publiques »,15/06/2023 Préface d’Edouard Philippe, Avant-propos de Jean-Luc Pissaloux, 522 p

Michel Le Clainche, ancien rédacteur en chef de la revue Gestion & Finances publiques (2015-2021), a tiré de sa thèse de doctorat en droit la matière d’un ouvrage très riche, fruit de ses travaux, de ses enseignements et de sa longue expérience administrative, notamment dans les services du Médiateur et du ministère des Finances. Associé parfois à la conception et plus souvent à la mise en œuvre des réformes (le renouveau du service public de 1989, la démarche qualité de 1996, la décentralisation en 1983 et la mise en œuvre de la LOLF à partir de 2006), attentif à la rencontre des points de vue des praticiens et des chercheurs, il est le « spectateur engagé »
capable de conjuguer les leçons apprises de ses observations à des postes divers au cœur de l’État, et tirées de ses pratiques professionnelles, qu’il illustre par seize témoignages vivants et concrets.
Cet ouvrage est une mine pour les étudiants, les chercheurs et plus largement tous ceux qui s’intéressent à l’évolution de l’administration, et en particulier à sa capacité à épouser les transformations de la société et à répondre aux attentes des citoyens. Sur une période longue de 50 ans, il recense et décrit avec une grande précision tous les textes et dispositifs qui soutiennent les réformes, en analyse les principaux contenus et en cite 75 extraits, dont la liste est fournie en annexe. Toutes les thématiques des réformes sont ainsi traitées : les relations avec les usagers, la gestion des ressources humaines, la rationalisation des structures et des méthodes, l’évaluation, le numérique, les réformes budgétaires et fiscales.
La problématique choisie par l’auteur repose sur la thèse d’une évolution dans la conception des réformes d’une approche juridique éclairée par la sociologie, à une approche managériale. Cette lecture est explicitée dans la première partie, qui traite des sources et typologies (chapitre1) et des acteurs et du pilotage des réformes
(chapitre 2). Selon l’auteur, les réformes administratives et financières conduites dans les 50 années sous revue ont d’abord été conçues sous l’angle juridique, puis se sont enrichies d’approches sociologiques assez novatrices, avant d’être concurrencées vers 1990 par une conception plus gestionnaire ; ces différences conceptuelles ont eu des conséquences très concrètes, notamment sur les rapports entre l’administration et ses « usagers-clients ».
La conception juridique est soutenue par un renouveau de l’approche de l’administration qui s’observe aussi bien dans le droit public que dans les sciences politiques, administratives ou financières, ou la sociologie des organisations. Mais elles échouent à transformer en profondeur la relation avec les usagers d’une administration toujours perçue comme un lieu de complexité. Le virage managérial des années 1990, soutenu par le développement des sciences de gestion et la promotion du management public, rencontre des résistances dans un contexte de rejet croissant du New Public Management, jugé trop libéral.
Mais qui est le destinataire de l’action publique ? L’auteur livre un lumineux panorama des variations sémantiques qui recouvrent, par-delà les modes, autant de visions de la relation entre l’administration et le public : administré, client, contribuable ou citoyen (ce dernier terme « sympathique mais juridiquement inexact » n’épuisant pas malgré la mode actuelle, la diversité de ces relations).
Au-delà de cette diversité, c’est la convergence des acteurs qui caractérise le pilotage des réformes. Convergence politique autour des thèmes de l’amélioration des
relations avec les usagers, de la responsabilisation des managers ou de la gestion performante, avec des nuances notamment en matière fiscale. La récurrence des
thèmes, malgré l’absence de mémoire qui caractérise les modes successives, dessine une politique publique à éclipses, mais cohérente. En somme, et c’est la conclusion de cette première partie, « le pragmatisme l’emporte ».
Les trois parties suivantes traitent des différents domaines d’application des réformes. La deuxième partie (Les relations avec les usagers : du médiateur à la démocratie administrative) aborde un sujet cher à l’auteur, qui a été un promoteur actif de l’amélioration des relations avec les usagers. La première vague juridique de ces réformes est caractérisée par la diversification des voies de recours non juridictionnelles (chapitre 3) : le médiateur, institué en 1973 et devenu Médiateur de la République en 1989, laisse place en 2008 au Défenseur des droits, qui remplit la même fonction d’alerte et de protection avec une efficacité et une audience accrues. Les modes de règlement amiable des litiges se développent.
De nouveaux droits (chapitre 4) sont accordés aux usagers avec les grandes lois de 1978 et 1979 (informatique et libertés, accès aux documents administratifs, motivation des décisions défavorables, archives), qui installent de nouvelles institutions. Progressivement, ces droits et garanties épars sont organisés jusqu’à l’édiction d’un code de procédure administrative non contentieuse, le code des relations entre le public et l’administration, publié en 2015. L’inflation normative particulièrement aiguë en France (400 000 textes générant un coût de 60 milliards d’euros) inspire les réformes de simplifications administratives (chapitre 5), qui bénéficient d’un pilotage de mieux en mieux institutionnalisé, en lien avec la simplification du droit. Malgré des avancées significatives comme la loi Pacte de 2019, qui réduit les 199 seuils d’effectifs applicables aux entreprises à trois niveaux (11, 50 et 250 salariés), et des approches plus gestionnaires (les études d’impact), les progrès sont modestes et la lutte contre l’inflation normative demeure inefficace.
Les chapitres 6 et 7 décrivent les démarches centrées sur la relation avec les usagers et l’association des usagers à l’action publique. La problématique des droits s’élargit à celle des attentes des usagers face à des services publics qu’ils perçoivent de plus en plus lointains et inefficaces : les dimensions d’accueil, de qualité, de communication sont mieux perçues sans être pleinement prises en compte. L’auteur dénonce des discours convenus et des politiques superficielles qui échouent à transformer les rapports entre l’administration et les usagers. Toujours optimiste cependant, il reconnaît qu’au-delà de ces résultats mtigés, un mouvement vers une démocratie participative est lancé, qu’on ne peut plus ignorer.
La troisième partie est consacrée à la gestion publique : du statut de la fonction publique à l’administration numérique. Le chapitre 8 illustre le passage « de l’administration du personnel à la GRH », une évolution qui marque aussi bien le management opérationnel que la régulation centralisée exercée par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), avec un développement significatif de la formation professionnelle. On assiste à l’essor de la négociation collective, devenue source indirecte du droit, et au développement de règles de gestion de plus en plus diversifiées, en matière de rémunérations et de déontologie, par exemple, destinées à apporter plus de souplesse mais génératrices en même temps de complexité. « Comme dans d’autres domaines, une superposition de procédés
juridiques traditionnels et d’instruments nouveaux ne suffit pas à transformer véritablement le management public
 ».
Le chapitre 9 traite de la réorganisation de l’administration au niveau local et central. Les 50 années de réforme couvrent bien sûr la décentralisation, réforme majeure lancée en 1983 et complétée ultérieurement, mais qui reste « inachevée et confuse ». Même si la déconcentration commence en 1964, son accompagnement de la décentralisation est tardif et aboutit, avec la Réforme de l’administration territoriale de l’État RÉATE, lancée en 2010, à une « organisation byzantine » qui fragilise durablement les administrations déconcentrées. Quant aux administrations centrales, mieux armées pour résister au changement, elles sont peu touchées par les réformes administratives ; toutefois la recréation des secrétaires généraux, « placés à l’articulation entre le niveau politique et celui des directions », est à ranger parmi les succès. La « rationalisation des méthodes administratives » qui fait l’objet du chapitre 10 revient à juste titre sur l’importante réforme de la RCB, qui a inspiré une étude extrêmement documentée du Comité pour l’histoire économique et financière de la France 1. L’auteur en rejoint les conclusions pour saluer une tentative de fonder la décision publique sur des bases rationnelles, qui « anticipe les développements futurs du management public », mais qui sera « victime de sa complexité, des résistances de la bureaucratie et d’un portage politique insuffisant sur la durée ». Le rappel historique des étapes de l’évaluation des politiques publiques sera ultérieurement complété par des développements plus nourris en cinquième partie. Cette partie, qui se clôt sur les apports et les limites du numérique, se conclut par un jugement mitigé sur l’expansion des approches managériales des années 1980 : l’amélioration de l’efficacité de l’administration profite aux usagers, mais est grevée de divers excès : « dépersonnalisation des rapports, perte de sens, éloignement des services, baisse inquiétante des effectifs dans certains secteurs ».
La quatrième partie, consacrée au budget et à la fiscalité, détaille les apports et les limites bien connus de la LOLF, et résume ses « péchés de jeunesse » : « un débat parlementaire désespérément classique, le maquis de budgets opérationnels de programmes et des unités opérationnelles, la bureaucratie des indicateurs, le dialogue de gestion réduit parfois à un simple monologue, l’impossibilité pratique de faire jouer la fongibilité au niveau le plus opérationnel, les tendances diverses à une certaine recentralisation, l’imperfection des systèmes d’information ». Cette partie bénéficie de l’excellente connaissance qu’a l’auteur des questions financières et des rouages administratifs de Bercy : on lira avec intérêt ses développements limpides sur la fusion, en 2008, des directions générales des impôts et de la comptabilité publique en une seule entité (la direction générale des finances publiques – DGFiP), sur les faiblesses, voire les absurdités, du régime juridictionnel de responsabilité des comptables publics et sur le maquis des réformes fiscales. Ces dernières s’ouvrent sur les perspectives d’une fiscalité nouvelle appliquée à l’environnement, aux transactions numériques ou aux bénéfices des multinationales.
La cinquième partie est consacrée aux « programmes transversaux » qui ont été marqués, à différentes époques, par une volonté politique clairement affirmée : le renouveau du service public de Michel Rocard en 1989, dont l’auteur rappelle les composantes originales (centres de responsabilité, projets de service, évaluation des politiques publiques) ; la réforme de l’État et des services publics de 1995 ; la révision générale des politiques publiques de 2007, rapidement détournée de son ambition de rationalisation vers l’objectif prioritaire de recherche d’économies budgétaires ; la modernisation de l’action publique de 2012 et son train d’évaluations ; enfin la transformation de l’action publique de 2017. La vulnérabilité de ces réformes aux alternances politiques et l’absence de continuité dans l’action ont limité leur efficacité.
Dans la conclusion générale de l’ouvrage, l’auteur s’efforce de dégager trois leçons pour l’avenir. Peut-on, en premier lieu, identifier les causes du succès ou de l’échec des réformes ? Si les foyers de résistance au changement sont clairement identifiés par les réformateurs, les facteurs de succès sont plus difficiles à caractériser ; le retour sur cinquante ans de réformes permet d’en dégager trois : une forte volonté politique, telle qu’elle s’est exprimée en 1981-1983 pour la décentralisation et en 1989-1990 pour le renouveau du service public ; la durée ; et enfin la prise en compte des « contextes, des enjeux et des valeurs portées par les parties prenantes ». Ne faut-il pas, c’est la deuxième question, rechercher « un nouveau paradigme synthétique qui présiderait à un nouveau mouvement de réformes adapté à notre temps », donnant plus de place à l’implication des acteurs et ouvrant le débat sur le pourquoi et le comment des réformes ? L’échec des réformes tient notamment à leur incapacité récurrente à bâtir une véritable responsabilité des gestionnaires, et à leur « approche purement instrumentale » et « solutionniste ». On peut donc s’interroger sur le bien-fondé de la notion de programme de réformes, et préconiser plutôt une stratégie de réforme sur le temps long associant les citoyens et laissant une large autonomie aux acteurs.
Une bibliographie abondante adaptée à chaque chapitre, une chronologie des principales réformes et de la cinquantaine de ministres chargés des réformes administratives depuis le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas en 1969, un index des matières et des personnes citées complètent cet ouvrage et en facilitent l’usage.
Un livre clair, lisible et parfaitement documenté, indispensable pour ne rien oublier et tout comprendre des réformes administratives et financières menées pendant le demi-siècle passé. ■
DL

1 P. Bezes, F. Descamps, S. Kott (dir.), « Le moment RCB ou le rêve d’un gouvernement rationnel. 1962-1978 », L’invention de la gestion des finances publiques, Histoire économique et financière de la France, IGPDE, 2021, 721 p.